vendredi 11 novembre 2011

Frontières et métamorphoses par Claude Caro

COLLOQUE 2011 : FRONTIERES ET METAMORPHOSES
Quels enjeux ?
Si les frontières prises dans leur sens le plus général,
- séparent l’intérieur de l’extérieur, elles participent, ce faisant de la construction et de l’intérieur et de l’extérieur,
- elles relient, médiatisent, diffusent, percolent.
Si les métamorphoses, les transformations silencieuses qui s’opèrent à la fois dans l’extérieur comme dans l’intérieur, modifient l’un et l’autre, opèrent un dépassement de l’actuel qu’elles contiennent virtuellement.

Si le « et » relie, médiatise praxis et poièsis, répétition et création, identité abstraite et différences concrètes, discours et parole, ce « et » associatif qui lie les deux concepts, ce troisième terme est là pour nous contraindre à penser autrement et à nous interroger :
Si les frontières séparent, départagent, enferment des parties du réel comme notre mode de rationalité cartésien voudrait nous l’inculquer,
Si ce réel se métamorphose, c'est-à-dire se transforme à l’intérieur des formes antérieures pour donner de nouvelles formes déjà formées par la métamorphose, cela ne nous dit pas ce qui pousse à ces transformations ni le rôle que les frontières ainsi dépassées jouent dans la création des nouvelles formes.
On comprendra toute l’actualité de ce que nous visons aujourd’hui, à l’heure de la mondialisation capitaliste, mais aussi au moment où l’interdisciplinarité devient la voie de compréhension indispensable à chaque science particulière comme au dialogue des cultures, en même temps que se présente à nous une nouvelle tâche cruciale : penser à neuf la personnalité comme nous y invite Lucien Sève dans « L’homme ».
Peut-on imaginer que, dans d’autres circonstances, d’autres situations, les frontières, les limites, puissent jouer un rôle semblable aussi bien pour ce qui concerne les questions de « notre vivre ensemble » que ce qui touche à l’anthropologie ?
Et, dans le même temps, est-ce que ces frontières formatrices de notre réel ne sont pas nécessaires à « une maîtrise de ce réel », par nous humains ?
Est-ce que poser cette recherche ainsi n’aboutit pas à un dépassement de la philosophie devenant ainsi anthropologie ?
Par anthropologie, nous entendons : ce qui détermine « l’homme », le crée en tant qu’être total (faber, sapiens, ludens, ridens…) ce qui ouvre la voie de la liberté.
Par déterminations, nous entendons : besoins, manque, désirs, raison et cohérence, déraison, imaginaire, irrationnel, finitude, inquiétude, angoisse.
Par dépassement nous entendons ce qui permet de surmonter ces contradictions, d’intégrer l’irrationnel apparent à une raison dégagée de son unilatéralité abstraite et des confusions avec l’entendement, de montrer que l’action, le travail, la connaissance peuvent être mis au service du besoin et du désir pour les changer en puissances concrètes.
Ces scissions, ces écarts, ces « frontières » entre réel et vrai, entre infini et finitude, entre désir et satisfaction, entre « l’homme philosophique et l’homme pratique » ne peuvent-ils devenir dépassés si nous dialectisons leurs relations ?
Ce dépassement ne substitue pas à la contradiction, une cohérence complète ou une réconciliation du rationnel et du réel, mais n’introduit-il pas une médiation et une action dans un mouvement dialectique à l’intérieur de la praxis, soit la poièsis ?
Au plan social ou sociétal, cette contestation de la quotidienneté (insupportable, intolérable, inadmissible) portée par des groupes divers ne pourrait-elle pas nier ce quotidien s’il y avait convergence ?
Or, nous constatons une non convergence :
- inégal développement
- phénomènes de destruction, déstructuration, et autodestruction
- formes et systèmes ont tendance à se fermer, se consolider, s’enfermer à l’intérieur de frontières, se dissolvent ou éclatent indépendamment les uns des autres en s’autonomisant.
Mondialement les rythmes de développement des sociétés sont multiples, ce qui contredit les tendances unificatrices, mondialisantes du Capital, préoccupé par sa quête du taux de profit maximum, sa profitabilité la plus rapide et élevée possible.
Ainsi se produisent en permanence les phénomènes de destruction, déstructuration, autodestruction.
Formes et systèmes se ferment, se consolident, se dissolvent, éclatent, s’autonomisent ou s’érigent au gré des volatilités, des passions.
Le temps donne naissance à la succession des formes et de leurs connexions : à la métamorphose.
Dans ces mutations, ces modifications déposent « des résidus » non intégrés, non intégrables, irréductibles, qui ne veulent pas le pouvoir, qui nient le monde tel qu’il fonctionne, exigent leur reconnaissance en tant que tels.
Les frontières deviennent à la fois un obstacle et une garantie : un obstacle à la libéralisation du capital comme au déracinement et une garantie de reconnaissance comme d’humanisation internationale.

Alors, que chacun reprenne la dignité et la force, sa liberté, et la métamorphose du monde sera conquise, l’accouchement pourra avoir lieu pour peu que nous nous situions correctement à la connexion entre identification : « le même et l’autre », aliénation « l’externe et l’interne », l’autonomie « le déterminé et le libre ».
L’appropriation perpétuellement renouvelée, amoureuse, créatrice d’une vérité : la transition est à penser au nœud des connaissances parcellaires, capable de programmer en ce sens une recherche et d’apporter des solutions concrètes à tel ou tel problème partiel, mais sans être en mesure de proposer autre chose qu’une ouverture, un chemin.

Au plan de la formation de la personnalité :
« Deviens ce que tu es ! » « Prescris le possible et le décèle dans le réel sous forme de traces, de germes, de résidus ».
Au plan scientifique :
Dans un univers approximatif et relatif, le réel déborde toujours des entités, des concepts dans lesquels nous avons tendance à le penser.
Ce débordement permanent, cette négation constante à l’œuvre, est d’abord dû à l’approximation et à la relativité des limites conceptuelles qui sont les nôtres, (nos frontières mentales)
L’univers est infini, négation du fini.
Les limites sont inexactes.
Saisir le réel, saisir tout concept, c’est saisir leur dépassement, leur débordement des frontières dans lesquelles notre mode de penser prétend les enfermer.
Notre univers n’est : ni déterminé causalement,
ni déterminé par une fin,
ni indéterminé.
Nous, humains occupons ce site, entre être et néant, matière et esprit, entre soi et pour soi.
Faire exister cette résistance entre déterminé et indéterminé, cette conscience des moments, des transitions, du passage, nous fait exister en même temps dans des situations, par des actes conscients, inventifs, créateurs.
Cette double détermination du « moment » dans le devenir et dans l’actuel entre métamorphoses et frontières, dans cette transition, va motiver notre réflexion, nos démarches, nos actes et nos actions en termes de dépassement dont le sens est aussi double :
- « garder, conserver » et,
- en même temps « faire cesse, abolir, mettre fin à, supprimer »,
- Comme en termes de devenir :
- « moment d’incertitude, moment d’ouverture ».

Que se passe-t-il dans « la métamorphose, cette « boite noire » que nous ne déchiffrons qu’après l’accident ?
Si nous considérions ce qui se passe et passe comme un système dynamique non-linéaire, quel éclairage du réel cela nous donnerait-il ?
En quoi ce déchiffrement de « la boite noire » pourrait-il expliquer le dépassement nécessaire des frontières ?
On le voit, le champ ouvert par la relation entre frontières et métamorphoses se révèle porteur d’interrogations dont les réponses sont d’une grande actualité :
- le fait que le Capital ait étendu son emprise au monde entier, parvenant à se jouer des frontières humaines tout en se métamorphosant en permanence ne nécessite-t-il pas que les peuples qui eux vivent sur des territoires circonscrits dans des frontières, reprennent la main sur cette mondialisation capitaliste ?
- le fait qu’existent des disciplines spécialisées, attachées à la connaissance des divers aspects du réel en métamorphose permanente, n’impose-t-il pas des procédures elles mêmes en métamorphose incessantes ?

Au terme de nos rencontres, sans doute n’aurons-nous pas épuisé le sujet. Au moins aurons-nous tenté de poser les éléments de nos réflexions à venir.
C’est pourquoi, comme co-animateur de l’Université Populaire de l’Ouest Audois, permettez-moi de vous inviter à suivre nos travaux tout au long de l’année qui vient et à vous inscrire si ce n’est déjà fait.

A Carcassonne le 30 Juin C Caro




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