mardi 16 octobre 2012

Séminaire interdisciplinaire Toulouse-Rangueil (13 octobre 2012)

Introduction au débat

           Dans un premier moment, Henri Callat rappelle notre histoire déjà longue : 23 années en comptant notre première localisation au « Mirail » et se félicite de ce « record » . Un groupe informel qui n'existe que par le contenu, le seul « objet » de ses réflexions, ça ne se rencontre pas souvent ! « L'Intendance » a toujours suivi nos idées et ce sont nos idées , aujourd'hui comme hier,+ qui doivent la précéder .
         Mais cette « rentrée » - certainement avec plus d'acuité que les autres – pose le problème récurrent de notre identité culturelle. Henri rappelle une phrase de l'invitation : « Plus que jamais en ces temps déraisonnables s'impose le problème de notre identité raisonnable. »

        Autrement dit – et pour parler clairement – que venons-nous faire ici chaque mois environ alors que des identités « secondaires » nous sollicitent de toute part ? Qui, en effet, n'est pas plus ou moins membre d'un « groupe », d'une « association », d'une « organisation » comme, par exemple Attac, le réseau « sortir du nucléaire », le Collectif de Défense du Droit d'Asile, les Amis du Monde diplomatique, le Mouvement occitan, voire le Front de Gauche les syndicats et les partis et, plus largement, la Franc-maçonnerie, le Rotary , le Lions-club et j'en passe …
       Ma question annuellement récurrente et essentielle est celle-ci : Qu'est-ce qui nous différencie de tous ces mouvements et justifie notre existence? Quel est notre horizon culturel spécifique ? Pour ce qui me concerne – et nous allons en discuter – je pense qu'il n'y a qu'une réponse théorique possible (si toutefois nous refusons le « café du commerce » et le club du troisième âge pour retraités désoeuvrés du samedi matin ) : retrouver notre esprit interdisciplinaire, c'est à dire centrer essentiellement nos réflexions sur les problèmes de société (civilisationnels) et pas seulement directement politiques ou économiques … ce que personne ne fait, ou trop timidement , dans nos associations ou groupes respectifs ! Osons le mot: c'est d'une réflexion philosophique qu'il s'agit comme nous pouvons d'ailleurs l'observer de plus en plus dans des associations jumelles justement appelées « Universités populaires » (Toulouse, Caen , Perpignan...).
     Il existe en effet – et nous en sommes de plus en plus conscients - toute une face anthropologique cachée de nos sociétés contemporaines (et quand je dis « anthropologique » c'est au sens moderne d'« anthropofacture des individus » c'est à dire de leur formation, socialisation et subjectivation) que des livres comme ceux qui ont occupé nos vacances décrivent très bien, mieux, nous révèlent. Et de citer
              1) Trois romans : « Ils désertent » de Thierry Beinstingel , « Le sermon sur la chute de Rome » de Jérôme Ferrari, et – horresco referens ! « Une semaine de vacances » de Christine Angot .
              2) Un livre de philosophie « La Cité perverse » de Dany-Robert Dufour
              3) Un livre d'économie: « L'avenir de l'économie » de Jean-Pierre Dupuy
              4) Un livre de sociologie: « Etats de choc. Bêtise et savoir au XXIe siècle » de Bernard Stiegler.
     Pris à part chacun de ces ouvrages ne montre qu'un aspect de cette « face cachée »de cet univers , de ce continent. Mais ensemble ils se font écho et c'est alors tout un ensemble civilisationnel nouveau qui apparaît.
C'est d'ailleurs tout le « secret » de nos Colloques carcassonnais depuis 20 ans.
     C'est le propre de la pensée interdisciplinaire que de savoir relier des « registres de pensée » différents afin de sortir ainsi du réductionnisme de la spécialisation. (Voir à ce sujet l'ouvrage d'Edgar Morin « Relier les connaissances . Le défi du XXIe siècle »).

       A ce moment de son exposé introductif, Henri ne résiste pas à attirer notre attention sur ce qu'il appelle le dernier chef d'oeuvre d'interdisciplinarité en date , à savoir l'ouvrage du jeune mathématicien Cédric Villani, « Théorème vivant » (Grasset) ainsi présenté dans la page de garde : « …Théorème vivant est un chant passionné qui se lit comme un roman d'aventures, jalonné de portraits de quelques uns des plus grands noms de l'histoire des mathématiques et parsemé de vertigineuses équations qui exercent sur le lecteur une irrésistible fascination. »
       Bref à partir de tout cela, il apparaît que notre « Voie » (encore un grand livre d'Edgar Morin) est clairement tracée :
         1) approfondir l'analyse de la société où nous sommes, de notre société contemporaine, celle du XXIe siècle qui commence en faisant apparaître son arrière-fond existentiel, anthropologique au sens que je viens de définir d'anthropofacture des individus qui la composent, « l'homo oeconomicus » ou « l'homo capitalis » .
        2) à partir de là commencer à dessiner, à faire entrevoir une société nouvelle, un autre monde possible et l'homme qui vient avec cette société et ce monde .

          Pasteur nous a délivrés de la rage biologique. Il faut maintenant nous délivrer de la rage sociale (la violence de nos sociétés) non pas par des incantations ou des exorcismes, fussent-ils politiques, mais comme Pasteur, scientifiquement, en découvrant le « bacille », le « microbe » socio-culturel qui la cause ! 
        Le coup d'envoi de l'année qui vient pourrait être donné par la prochaine conférence d’Henri Pena-Ruiz à Carcassonne le 29 novembre prochain sous le titre suivant « Les eaux glacées du Capitalisme » à partir de son dernier livre « Marx Quand Même » (ed Plon).  Ce sera la première conférence du genre qu’il nous consacre précisément à partir d’un sujet fort peu abordé jusqu’à ce jour. Un très grand livre d’anthropologie politique comme on n’en voit pas souvent !
       Voilà pourquoi, en conclusion, Henri propose ce qui pourrait être le titre de notre prochain Colloque et ce qui pourrait en même temps constituer l’objet de nos futures Rencontres :

                            La face cachée de nos sociétés postmodernes
                                                              ou
                                                 L’ombre des Lumières

Nous passerions ainsi pour la première fois de l’observation simplement économico-politique à l’analyse socio-anthropologique complexe.
« Ce qui ne se régénère pas dégénère » (Edgar Morin)

Débat (résumé par Martine Boudet)

       A- Des paramètres de l’aliénation
La discussion a fait apparaître certains facteurs d’aliénation culturelle et psycho-sociale :
        1- la prégnance de l’économie de la connaissance, manifestée par le boom techno-scientiste et à l’origine de « stratégies de choc » (cf Naomi Klein- Bernard Stiegler, Etats de choc -bêtises et savoirs au 21e siècle)
         2- la désidéologisation instrumentalisée par le technocratisme d’Etat ainsi que par certains médias et le déficit d’idéologie alternative, cause également de pathologies et de régressions sociétales enregistrées dans l’actualité
         3- le maintien fréquent, dans le camp progressiste, de systèmes de pensée cloisonnés, dont la cause est moins dogmatique ou sectaire (dérive ancienne liée à l’époque des idéologies) que mimétique des formes et contenus du système de domination néo-libéral:
                  -économisme européocentré (mouvement altermondialiste)
                 -technocratisme para-étatique, lié à des stratégies de co-gestion, au détriment du débat d’idées sur les enjeux programmatiques liés à l’alter-développement (monde syndical, consultation sur la refondation de l‘Ecole)…

     B- Cette désubstantialisation du corps social est à l’origine d’une déresponsabilisation progressive
      
 1- La déperdition du sentiment d’appartenance collective : emploi réduit du mot « peuple » au profit du culte de l’individu triomphant : hédonisme, narcissisme, volonté de puissance et esprit de démesure (hybris)
       2- la déperdition du sentiment moral aux différents étages de la société : perte d’empathie chez les décideurs et élus, banalisation de l’extrémisme xénophobe, corruption de cadres d’Etat (police), gestion pragmatique et utilitariste des ressources humaines et des questions de déontologie dans l’entreprise et les écoles de cadres, violences juvéniles et (inter-)communautaires, absence de solidarité agissante (par exemple syndicale) à l’égard des entités stigmatisées ou sinistrées par la crise: communauté rom, Grèce, Espagne, attribution contestable du prix Nobel à l’Union européenne, responsable de politiques agressives au plan économique et stratégique… …
      3-la déperdition du désir de changement : situation paradoxale dans un pays qui a opté pour l’alternance politique. La communauté nationale se trouve confrontée à ses propres limites, à la différence des sociétés latino-américaines, dynamisées et unifiées par des stratégies émancipatrices : « révolution citoyenne » née de l’articulation entre les luttes pour les droits sociaux et pour la souveraineté populaire, pour la défense de l’environnement et des droits culturels des peuples amérindiens, « démocratie inclusive » qui intègre les droits de ces peuples autochtones et des femmes notamment, bolivarisme ou patriotisme unificateur, à l’échelle continentale…

        C- Certaines conditions de la refondation
     La refondation étant à définir comme processus d’émancipation intérieure/mentale et à caractère inter-subjectif, opérant au niveau de la conscience collective.
        1- Plan stratégique: « Travailler » les points faibles, au niveau individuel et collectif : ont été cités certains défauts d’organisation du colloque interdisciplinaire, dont la session de 2012 a été réussie au demeurant. Tout comme la création de l’université populaire de Carcassonne, qui regroupe régulièrement une trentaine de participants.  Proposition de renforcer la coordination entre les organisateurs et le partage des tâches.
       2- Plan éthique : Refuser les compromis qui deviennent des compromissions et encourager à la rupture dans ce cas. Modération de l’hybris d’une manière générale
      3- Plan logique : Innover sur le plan conceptuel, sortir des sentiers battus des appareils : proposition de travailler sur la question de la brevetabilité/confiscation des connaissances scientifiques. Concept intéressant en matière de démocratisation car au carrefour des sciences, de l’économie et des besoins des peuples.

III- Agenda
      -prochaine réunion, le samedi 17 novembre à 9h 45
    Communication de Philippe Solal sur L'avenir de l'économie  de Jean-Pierre Dupuy

       -réunion suivante le samedi 15 décembre à 9h45,
    Communication de Ghislain Vergnes sur Etats de choc. Bêtise et savoir au XXIe siècle de Bernard Stiegler















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