lundi 27 février 2012

L'INDIVIDU QUI VIENT ...après le libéralisme, de Claude Caro



L'INDIVIDU QUI VIENT ...après le libéralisme.Une lecture de Dany-Robert Dufour, par Claude Caro.


Pour l'auteur, l'individu qui vient après le libéralisme serait plus égoïste qu'individualiste, l'individu se trouvant réduit à ses pulsions. Ce fonctionnement pulsionnel, flatté, suscite une attente permanente de satisfactions insatisfaites, frustrantes, qui modèlent des comportements mimétiques à l'échelle planétaire. Ce disant, il nous renvoie au « conatus » de Spinoza.(1)
Alors , faut-il inventer un nouvel individu, ou bien ne pouvons-nous pas imaginer la création de conditions sociétales formatrices, transformatrices sur la durée, sinon d'un homme/femme nouveau, mais au moins en capacité de conserver son humanité ? Car, si les idéologies théologico-politiques qui prétendaient nous libérer, nous ont conduit dans des impasses mortifères, force est de constater que l'idéologie libérale-libertaire qui se dissimule derrière le discours à la mode, s'avère tout autant toxique pour les personnes, peut-être même plus, car plus subtiles.

Certes, l'homme/femme de notre temps a beaucoup gagné aux multiples libérations qui entravaient les actes de nos ascendants. Dans nos sociétés, les rapports entre sexes comme entre générations ont commencé après de multiples luttes, à lever le joug du Patriarcat avec l'aide de la marchandise qui mine les fondements généalogiques de la famille et ses interdits constitutifs, et qui ruine les systèmes symboliques des échanges sociétaux, défont les territoires des pères.
L'individu qui vient serait donc ultralibéral, désirant toujours plus, quitte à instrumentaliser
l'autre pour sa propre jouissance. Pour l'auteur, refuser ce post-modernisme n'est pas être néo-réactionnaire mais néorésistant. Résister c'est créer, créer c'est résister ! Alors, comment éviter le pire et poser les prémices d'une authentique politique de civilisation puisque les développements de notre civilisation en menacent les fondements ? Pour faire advenir cet individu autre, il faut instituer le passage par l'autre. Il faut des institutions. (2)
J'ai été instituteur. Il y a des professeurs des écoles. Notre vocation statutaire, institutionnelle était d'instituer les enfants, d'en faire des citoyens et, pour ce faire, de pratiquer des « répressions constructives, pour entrer dans la limite », une sorte de païdéïa grecque (science de l'élévation de l'âme et sa mise en oeuvre dans la Cité) par des techniques d'action sur soi. Caro Claude.


Sommes-nous sortis de la nécessité de ce quelque chose qui nous relie ? Religion ou autre ?
A l'évidence non, même si partout, toutes les religions transcendantales ou les spiritualités passent peu ou prou sous les fourches caudines du « divin marché ». Du reste, le raidissement « fondamentaliste » des religions sécularisées, peut s'expliquer par une tentative de résister au « marché » par un « retour » régressif à un passé idéalisé qui n'a pas de prise sur notre monde comme il va, mais qui bride les individus. C C
Alors, ni modernité, ni post-modernité n'offrent de perspective humainement souhaitable ou possible. Rechercher dans notre époque ce qui peut et doit être conservé, ce qui peut et doit être
abandonné ou combattu pour échapper au « destin », au désir-maître.
Inscrire la crise actuelle dans cette généalogie, c'est sortir de la facilité : si l'on peut dire que
le néolibéralisme s'origine au début des années 80 ; il prend sa source dans le renversement de
la métaphysique occidentale qui s'est produit au tournant des années 1700, comme l'a très
bien montré Henri Callat.
Comme le dit J P Vernant : « Le dédain orgueilleux, le délire des grandeurs, l'ambition illimitée,
le désir d'avoir toujours plus, sont des formes de cette déraison, tellement humaine, qui ne peut
plus enfanter qu'injustice, oppression
, effondrement des règles du vivre ensemble ».L'auteur nous propose d' inventer « l'individu » ?
Considérant que le futur se récolte toujours dans le passé, il propose :
Reprendre le processus civilisationnel là où il fut interrompu, dans la civilisation occidentale,
alors que, avec la mondialisation impulsée par le capitalisme, la marchandisation à l'occidentale est en train de tuer à petit feu les autres civilisations de la gangue du totalitarisme antiautoritaire, de l'égoïsme grégaire en train de tuer à petit feu les autres civilisations ?
Sortir de la gangue du totalitarisme antiautoritaire, de l'égoïsme grégaire.
« Le peuple, en sa haute idée, se trouve difficilement dans le peuple ». Michelet.
Le marché, la marchandisation de tout : tout vaut, tout se vaut, sont devenus le nouvel
enchantement sur lequel se fonde une promesse de salut. Or, ce marché-là, porté par « le nouvel esprit du capitalisme, libéral-libertaire », n'accordant de valeur qu'aux valeurs marchandes ne peut prendre en compte les valeurs symboliques transcendantes, morales, éthiques, car pour ce marché là : « les vices privés font le bien public, contenant plusieurs discours qui montrent que les défauts des hommes, dans l'humanité dépravée, peuvent être utilisés à l'avantage de la société civile, et qu'on peut leur faire tenir la place des vertus morales ». « Soyez égoïste, avide, dépensier pour votre propre plaisir que vous pourrez
l'être, car ainsi, vous ferez mieux que vous puissiez faire pour la prospérité de votre nation et le
bonheur de vos
concitoyens » ;
Adieu donc toute retenue ? Ainsi Smith, Sade, poursuivent l'institution philosophico-économique
de l'individu libéral fondé sur l'amour-propre : le néolibéralisme post-moderne s'est emparé des
passions et pulsions pour exacerber les désirs, toujours infinis, toujours insatisfaits !
Comment ne pas comprendre que de telles orientations ainsi pensées ne débouchent sur l'état
de « stasis » : crise politique, morale, sociale qui résulte d'un conflit interne à la Cité » si « la
richesse matérielle » a remplacé toutes valeurs !
Ce n'est pas le sophisme de nos dirigeants qui changera quelque chose à cette réalité, car, comme
le dit Camus dans L'homme révolté : « La fin justifie les moyens ? C'est possible. Mais qui justifie la
fin ? »
Ce modèle social et idéologique forme et transforme des individus adaptés et adaptables au « bon fonctionnement » de cette société. L'auteur considère que nous sommes face à deux impasses mortifères :
- ni retour en arrière dans un fondamentalisme religieux ou moral.
- Ni poursuite aveugle dans la jouissance triste et méprisante, pour ceux qui le peuvent et qui
modèlent les envies des privés de jouissances.
L'auteur s'interroge : peut-on imaginer une voie moyenne en résistant au totalitarisme
libéral, au capitalisme liquide qui refuse tout engagement durable, qui ne veut pas avoir à
compter avec l'autre ?
Cette résistance étant en soi en capacité d'obvier puisque les développements de notre civilisation en menacent les fondements : mais quels sont ces fondements ?
Si, « la vraie vie est absente », l'auteur nous propose quelques axiomes minimaux pour éviter les
deux impasses. Axiomes : ce qui implique une sorte de table rase, de départ à zéro, ce que l'auteur s'empresse de constater :
« L'individu n'a encore jamais existé, il s'agit de le faire advenir ». soit, mais quel individu ?
- celui, individualiste de la société libérale, égoïste, pulsionnel ?
- Celui tout autant individualiste de la société libertaire-anarchiste qui rejoint le premier par
son refus constitutif d'une appartenance au genre humain (cf Sève).
L'auteur en effet admet : « la conquête de mon autonomie passe par l'autre ». Cette réalité ,
cette vérité, que Marx a développée : « Le genre humain, c'est à dire la transformée historique
de l'espèce humaine s'est et se produit lui-même ». « L'essence humaine n'est pas une
abstraction inhérente à un individu pris à part, dans sa réalité effective, c'est l'ensemble des
rapports sociaux » .
Faute de se référer à cette conception : le secret rationnel de l'interne est externe, l'auteur
propose la création d'institutions qui « sollicitent », « prohibent », autrement dit des
institutions qui imposent des règles de vie fondées sur des règles morales ou éthiques
surplombant la société. Or, si de telles prescriptions sont nécessaires, elles « oublient » que ce
que nous sommes devenus est le fruit de « l'ensemble des rapports sociaux »...dont les
fondements actuels ne poussent ni à l'altruisme, ni à la fraternité » .
C'est bien cela qu'il nous faut révolutionner.
A mon sens c'est là que réside l'utopie, c'est lorsque l'auteur nous propose d'inventer un individu
altruiste, sympathique, vivant dans une société sans feu ni lieu, sans marché, sans marchandage
(sans démocratie) et qui serait le résultat « d'une rupture » survenant mystérieusement !
Certes, l'auteur s'empresse de réfuter cette perspective qu'il a lui-même ouverte : « les époques ne sont pas complètement étanches les unes des autres, quelle que soit leur indéniable consistance épistémologique respective. Toute époque est en effet héritière de l'époque précédente et grosse de l'époque suivante...une époque n'est pas totalement unifiable, elle est travaillée par des contradictions et c'est la solution de ces contradictions qui ouvre alors une nouvelle époque »... ce que tout dialecticien peut comprendre .
Alors, que faire car, pour tous ceux qui ne se résignent pas à ce monde comme il va, c'est
l'aide à la réponse à cette question que nous recherchons ici ?
- Exercer un droit de retrait vis à vis du marché ? Oui
- Désobéir à l'encontre du nouveau régime de rentabilité ? Oui
- Résister ?Oui, pour penser l'avenir en termes de transitions. Oui.
- Proposer d'autres désirs sous la conduite de la raison car, « si le libre épanouissement de
chacun est la condition du libre épanouissement de tous, résister demeure une porte d'accès à
la culture de la vie ».
- Réguler, contraindre le désir-maître par la démocrat ie, pour que nos puissances d'agir et
de penser qui sont constitutives de notre humanité, prennent en compte le fait qu'il n'y a
qu'un seul monde.
- Relier éthique et pratique, révolutionner nos consciences, c'est à dire créer !
- Ne pas détruire mais « déconstruire » c'est à dire démonter pierre à pierre l'édifice ancien
afin, après examen de ces éléments, les réutiliser, les réassembler pour économiser les
matériaux anciens mais toujours en bon état après droit d'inventaire. La destruction néantise
l'existant, idéalise l'inexistant à venir, alors que la déconstruction peut permettre de
réinventer de nouveaux assemblages, de nouvelles formes plus habitables tout en nous
contraignant à respecter le « logos », pensée critique, comme l'inconscient, cette intériorité
humaine, contre « la libération des passions et la levée des inhibitions ».
- A propos de l'éducation qui joue un rôle important dans la formation de l'individu qui
vient : important mais pas déterminant, important mais qui dépend de l'orientation qu'on
lui donne, important dans la stratégie d'adaptation du système scolaire voulue par les
tenants de la poursuite de l'adaptation de notre système social aux impératifs de survie
imposés par le néo libéralisme.( C C )
Ainsi, l'orientation néolibérale telle qu'elle est impulsée par N S vise à ce que l'individu qui vient
soit préparé à intégrer cette société, c'est à dire un individu soumis à ses passions, ses pulsions, à
l' image de N S lui même.

- Une autre orientation serait celle dans laquelle l'individu qui vient serait formé indépendamment de la société, voire contre elle mais que celle-ci pourra intégrer
après l'avoir réduit.
- Une troisième orientation, qui a la préférence de l'auteur, conservatrice, c'est à dire une
éducation qui conserve, entoure, protège l'enfant contre le monde, le monde contre l'enfant,
le nouveau contre l'ancien, l'ancien contre le nouveau : « pour préserver ce qui est neuf et
révolutionnaire dans chaque enfant, l'éducation doit être conservatrice. Elle doit protéger
cette nouveauté et l'introduire comme un ferment nouveau dans un monde déjà vieux qui, si
révolutionnaires que puissent être ses actes est, du point de vue de la génération suivante,
surranée et proche du néant ».
tout le contraire de la révolution permanente à laquelle est
aujourd'hui soumise l'école, par un pouvoir qui ne vise qu'à accélérer la formation de
l'individu qui vient encore plus adapté, intégré à la société ultra libérale, encore plus
insoumis aux disciplines.
- Voir ce que N S a dit qu'il ferait s'il était réélu (3)
Pour qu'un contraire puisse s'inverser en son contraire, il faut qu'il le contienne et l'implique
en lui, alors, comment gérer des déterminations, internes aux situations qui les travaillent de
l'intérieur ?
- Sinon en rompant cette adéquation de la détermination avec elle-même, contradiction en
attente d'inversion puisque chaque détermination est elle-même travaillée par son contraire ?
- Si nous considérions les déterminations comme « fluides », nous pourrions sortir du
dilemme :
- acquis, idéaux
- égoïsme, émancipation des opprimés
- revendications conformistes, défis aux pouvoirs.
- Forces sociales sclérosantes, innovantes.
- Immobilisme, mobilisme. Puisque, les transformations sont silencieuses non seulement par
leur mode d'avènement mais sont aussi globales et pas locales.
Alors que l'aliénation, dans la maison ancienne venait d'une confiscation ou d'une privation de
liberté, cette aliénation vient aujourd'hui d'un excédent de liberté : « l'homme », l'individu humain n'est pas ceci ou cela. « L'essence humaine n'est pas une abstraction inhérente à un individu pris à part, dans sa réalité effective, c'est l'ensemble des rapports sociaux », ce qui implique que le passage de l'état de nature à l'état civil induise des contraintes, des répressions nécessaires, un bridage des pulsions, fondamentaux pour que l'humanité de l'homme survive dans la civilisation.(3)


À Carcassonne le 11 Janvier 2012


(1) Le conatus : Spinoza le définit par : « l'effort par lequel, chaque chose autant qu'il est en
elle, s'efforce de persévérer dans son être
». Le conatus est la force d'exister, l'énergie
fondamentale qui habite les corps et les met en mouvement. La conatus est le principe de
mobilisation des corps. Exister, c'est agir, c'est à dire déployer cette énergie. L'énergie du
conatus c'est la vie, c'est l'énergie du désir. Exister c'est désirer, s'activer, s'activer à la
poursuite de ses objets de désir (désirs des uns, désirs des autres, désirs d'enchantement.
Le conatus signifie entreprendre, commencer. Il désigne l'impulsion qui fait passer du repos au
mouvement, cette énergie fondamentale qui produit l'ébranlement du corps et initie sa mise en route à la poursuite d'un certain objet. C'est l'histoire des sociétés qui à la fois inventent et délimitent la variété des entreprises, c'est à dire des objets de désirs licites.
La liberté d'entreprendre, au sens du conatus, n'est pas autre chose que la liberté de désirer et de s'élancer à la poursuite de son désir. Notons que ceci peut expliquer que la liberté d'entreprendre revendiquée par les entrepreneurs soit leur liberté d'embarquer d'autres puissances d'agir dans la poursuite de leur désir, soit la naissance du rapport salarial, l'enrôlement provisoire des salariés et la capture, par le sujet du désir-maître.
Conatus, force désirante au principe de tous les intérets, à la fois intérets libérateurs et intérets
asservisseurs.


(2)le conatus, force désirante étant « sans objet défini », ce qui détermine les objets de désir, ce
sont les affects. Cette vie passionnelle s'impose à nous. C'est elle que la société doit nous aider à
éduquer.Voilà pourquoi, nous pouvons entreprendre sans attendre la maîtrise de nous-même tout en poursuivant avec nos semblables la maîtrise de nos rapports sociaux.

L'intervention liminaire de Henri Callat vous parviendra plus tard.
À Carcassonne le 13 janvier 2012
Caro Claude

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