vendredi 11 novembre 2011

Le nouvel âge de l'école par Claude Caro


LE NOUVEL AGE DE L'ECOLEPrésentation de la soirée du 27 Septembre 2011 par Caro Claude. Compte rendu amendé par les remarques des participants.



Les transformations des systèmes éducatifs ne sont guère compréhensibles si on les isole des
évolutions économiques, sociales, politiques de ces 60 dernières années.
Les inscrire dans les mouvements d'ensemble d'une société de plus en plus marquée par les
contraintes de la mondialisation orientée par le capitalisme, marquée par la financiarisation, la quête du taux de profit maximum, la mise en oeuvre des politiques néolibérales, c'est se donner les moyens de comprendre le changement de forme de l'école, les nouvelles normes qui la régissent, le nouvel âge de l'école.

Les systèmes d'enseignement connaissent une mutation progressive (une transformation
silencieuse), qui obéit à un nouveau modèle.
Ce modèle combine deux aspects complémentaires :
- l'incorporation économique qui les transforme en vastes réseaux d'entreprises de formation de
« capital humain ».
- la compétition sociale généralisée, qui devient le mode de gestion du système lui même.
Cette subordination ( qui n'est pas nouvelle, mais qui est aujourd'hui conceptualisée), accrue au
marché du travail, au financement privé et à une compétition sociale plus intense entre classes et
groupes sociaux fait de l'école un espace où se déploie de multiples manières, la norme sociale
propre au capitalisme contemporain (tel qu'il s'est imposé depuis le début des années 80 et le néo-libéralisme).
Ce que nous voudrions montrer, c'est que :
- les changements en profondeur du fonctionnement et des finalités de l'institution sont en rapport avec les dégradations des conditions faites aux enseignants, aux chercheurs, aux élèves, aux étudiants.
- Ces rapports réciproques, ces transformations visent à modifier les rôles des savoirs, les accès aux connaissances.
Le grand changement actuel est justement marqué par la disparition de l'autonomie scolaire aussi bien dans son fonctionnement que dans les contenus d'enseignement. Dans le nouveau modèle, l'école ne prétend plus dispenser des savoirs « gratuits ». elle se refuse à engager les individus dans le pari de la culture et des connaissances qui pourraient se révéler « non payantes ». Elle s'aligne de plus en plus explicitement et ouvertement sur les formes et les contenus répondant aux exigences de « la nouvelle économie », c'est à dire du capitalisme contemporain. L'école est désormais sommée de se rendre utile économiquement.
Cette réalité est radicalement nouvelle. L'institution scolaire abandonne aujourd'hui toute capacité à défendre et valoriser des savoirs, des connaissances, une culture qui vaudraient pour eux mêmes.
Ces changements sont systématiques et rapides. Leur accélération est rendue nécessaire par la conjugaison de la crise née de l'accumulation et de la valorisation du capital avec les nouvelles technologies de l'information et de la communication.
Mais aucun changement d'une telle ampleur ne serait possible sans « la construction d'un
discours du changement » qui, parce qu'il est hétéroclite, confus, abstrait et parfois contradictoire est capable de mobiliser des formes variées, à l'intérieur et au dehors des institutions scolaires et universitaires.
Recomposer les systèmes scolaires pour les adapter aux nouvelles conditions de l'accumulation mondiale du capital, tel est son credo. Les institutions se transforment et s'adaptent par l'effet d'une rationalité générale qui se présente, à un moment donné, comme un ensemble d'énoncés, d'évidences et de dispositifs nécessaires.
Ces institutions se modifient par les pratiques de leurs agents qui obéissent
- aux normes nouvelles, contraints ou soumis.
- Aux injonctions hiérarchiques : atteindre des objectifs quantifiés, fixés par « le haut »
Le néolibéralisme est aujourd'hui cette logique générale qui impose partout, y compris dans les
sphères à priori les plus éloignées du coeur de l'accumulation de capital, un système normatif de
conduites et de pensées. Les contraintes du capitalisme néolibéral ( qui avaient été desserrées de 1945 à 1980) sont progressivement introduites dans le fonctionnement des systèmes éducatifs au moyen de normes institutionnelles dont « les réformes » sont porteuses, surtout la recherche de performances.
L'institution scolaire et universitaire, au même titre que l'hôpital, les services de l'emploi ou la police connaît ainsi une transformation de type managérial qui vise à augmenter « sa productivité », sous la contrainte de la diminution des prélèvements obligatoires ( de la nécessité de financer directement le capital en crise) dans un contexte de concurrence mondialisée entre capitaux.
Le nouveau capitalisme a développé de nouvelles formes de concurrence dans la production et la
consommation. Ces formes, centrées sur l'innovation modifient l'organisation autour des entreprises et supposent l'organisation de services privés (transports banques, communication, loisirs, distribution, formation...) et de services publics fonctionnant selon les mêmes critères. D'où :
- nouvelles compétences, nouvelles conditions de vie quotidienne, nouveaux modes de
consommation.
- Financiarisation de la vie quotidienne, packaging produits services, usage intensif des NTIC
Cette exigence marchande dans laquelle nous baignons entraîne des modifications subjectives et
sociales :
- réactivité immédiate
- vitesse d'exécution des taches
- responsabilisation individuelle
- exigence de plus de performances : impératif de résultats à atteindre, ces résultats étant
mesurés hors de tout contexte.
Ce nouveau monde du travail et de la consommation impose de nouvelles conditions au monde éducatif. L'insécurité sociale caractérise un monde économique qui reconnaît de moins en moins les connaissances solides, durables, correspondant à des fonctions fixes et des personnalités stables. C'est un nouveau régime salarial qui s'instaure et qui impose sa norme au monde de l'éducation : former des individus adaptables et des personnalité fluides.
Le terme « flexibilité » renvoie aussi aux subjectivités requises pour répondre aux exigences de la nouvelle économie. La compétition scolaire et le recentrage de l'école sur la norme sociale de l'employabilité n'échappent pas à la contradiction. La logique de marché qui se diffuse partout y compris dans le champ de l'éducation engendre inquiétudes, angoisses, désillusions chez les élèves et leurs familles. Cette logique de concurrence nous affecte tous, mais plus encore les milieux populaires plongés dans la désespérance. Le nombre des « perdants relatifs » s'accroît proportionnellement à l'intensité de la compétition pour les bonnes places.
Cette nouvelle école voulue par le capitalisme n'est pourtant pas efficace. Les résultats scolaires sont en régression. Les inégalités sociales dans l'accès aux savoirs s'accroissent.
les « réformes » d'organisation, l'introduction du management style entreprise, la baisse
systématique du nombre de personnels censée mettre sous tension le système et rendre manifeste son « inefficacité», tout cela apparaît de plus en plus comme un sabotage de l'école publique préparant sa privatisation.
La mise en concurrence des établissements diminue l'efficacité globale du système scolaire. Elle
aggrave la ségrégation spatiale, elle même liée aux mutations sociales. L'instillation de dispositifs de pouvoir fondés sur la méfiance, la surveillance, la pression continue et la culpabilisation, cassent l'efficacité de l'enseignement.
« le sens pratique du métier », composition de valeurs communes et d'expériences accumulées est systématiquement sapé par une logique gestionnaire qui dépossède les praticiens de leurs savoirs, dévalorise leurs pratiques, leur impose des discours et des formes d'organisation sans aucune pertinence dans les domaines de la pédagogie, de la culture, du savoir savant.
Comment ne pas comprendre la démoralisation des enseignants et la résistance (désespérée
pour l'instant) un peu individuelle et trop peu collective ?
« La logique des compétences » à évaluer avec l'extension à tous les niveaux du « livret personnel des compétences », au lieu et place d'une mise en oeuvre des capacités à développer, commence malgré tout à être perçu avec les risques que « ces compétences « ainsi mesurées se substituent aux savoirs. La finalité émancipatrice des savoirs est remplacée par la très prosaïque « vente de soi sur le marché du travail ». La violence symbolique d'une telle substitution commence à faire des ravages et engendre des résistances d'un nouveau genre.
C'est le coeur du métier d'enseignant qui est touché. L'inédit de la période tient à ce que, pour continuer à enseigner selon des critères classiques d'évaluation et de validation des connaissances, de valeurs culturelles des oeuvres, les enseignants sont conduits à ruser, mentir, dissimuler. Les contraintes managériales qui s'imposent aux pratiques pédagogiques défont l'union qui existait entre « néo libéraux » et « pédagogues ».
Ici, remarquons en réponse à une question :
Si l'école devient de plus en plus « capitaliste», ce n'est pas uniquement par sa soumission à des
impératifs économiques qui lui seraient extérieurs ce qui était le cas avant, ce n'est pas non plus du fait de la constitution dans le domaine de l'éducation d'un espace de plus en plus large occupé par les entreprises privées fournisseuses de marchandises scolaires, para ou péri scolaires, de la
marchandisation, c'est le fait que l'école, dans son organisation, son fonctionnement, ses modes
de régulation, s'ordonne à la logique abstraite de la valeur et que la norme sociale qui s'y
déploie dote la connaissance d'une forme nouvelle.
L'école toute entière obéit à une tendance qui la conduit à se transformer en un vaste réseau
d'entreprises hybrides, public/privé, chargées de produire à moindre coût les « compétences »
destinées à faire fonctionner l'économie de la connaissance. Cette transformation est l'effet de l'action de l'état sur lui même.
Séparer le travailleur de ses propres conditions de travail, lui interdire la maîtrise, l'initiative et
l'indépendance dans l'exercice de son métier pour le soumettre plus encore au processus de
valorisation, avec les conséquences que l'on connaît, par exemple à France Télécom, l'ANPE, la
police... L'extension aux services publics ( dont l'éducation), des critères de gestion appliqués dans le privé débouchent par exemple chez les enseignants sur la dépossession de la marge de manoeuvre pédagogique qui leur était concédée, et aujourd'hui contrainte par les directives visant au formatage des esprits.
Ainsi, avec la dévaluation des professions intellectuelles, la baisse relative et même absolue
des revenus, la destruction de la formation professionnelle, la division accrue entre praticiens
et managers, la division organisée entre enseignants et scientifiques, la prolétarisation est un
processus bien engagé.
Quelles conséquences et quelles luttes ?
La résistance culturelle contre la marchandisation doit être soutenue. Mais la résistance aux dispositifs techniques et organisationnels qui visent à discipliner, formater les travailleurs cognitifs, la résistance à la mise en concurrence, à l'individualisation de leur carrière, à l'objectivation de leur activité, à la destruction systématique des collectifs de travail comme des valeurs communes (fraternité, tolérance...), à la déqualification et la paupérisation doit aussi s'intensifier, car :
« - si la formation aux compétences, ça ne marche pas,
- si la formation aux savoirs faire est en ruines, pourquoi résister à ce quelque chose qui ne
marche pas ?
- si les dégâts sont tels qu'ils obèrent l'avenir, ce n'est pas seulement résister qu'il
convient de dire mais réinventer ! » suggère un participant.
-
Il est vrai ici aussi que RESISTER C'EST CREER
Entre défendre, se défendre et être à l'offensive, la passe est étroite.
Oui, l'idéal républicain et laïque mérite d'être défendu.
Mais, ni l 'école sanctuaire, ni le respect fétichiste des frontières disciplinaires, ni la protection des savoirs des souillures du réel ne méritent notre soutien.
Penser l'école à venir, c'est penser le monde dans lequel elle se tient.
« l'Université est dans le monde qu'elle tente de penser. C'est sur cette frontière qu'elle doit
négocier et organiser sa résistance ».
Sur cette pensée de Derrida en 2001, nous pouvons ouvrir notre réflexion.
COMMENT PASSER D'UNE ECOLE TRANSFORMEE PAR LE SYSTEME
CAPITALISTE AVEC TOUTES LES CONSEQUENCES QUE NOUS VIVONS,
A UNE ECOLE QUI MODIFIE LES CONDITIONS D'APPROPRIATION DES SAVOIRS
POUR TRANSFORMER LA SOCIETE, VIA LES INDIVIDUALITES ?
Réinventer l'école.
« L'école est devenue la chambre d'écho des problèmes moraux, la caisse de résonance des
questions sociales, l'amplificateur des transformations silencieuses qui s'accomplissent dans les
maisons ou derrière les écrans de télé ou d'ordinateur. Autorité contestée, tyrannie de
l'immédiateté, hyperactivité, ennui, apathie, décrochages ou phobie scolaire, querelles mémorielles, incivilités et désenchantement face à une société où piston et relations semblent compter davantage que les parcours exemplaires d'enfants sages ».
Le sentiment d'appartenance à un projet qui transcende les individualités s'est évaporé. Le sens du « nous » s'est dispersé. Comment l'école peut elle, dès lors, fédérer une collectivité à l'ère de l'individualisme intégral promu au rang de valeur suprême ?
La famille a cessé d'être l'alliée naturelle de l'école : la cellule structurante de l'enfant elle même
déstructurée ou en structuration incontrôlée, se décharge souvent de sa fonction éducative sur
l'institution scolaire privée des moyens de l'assumer.
L'humanisme qui fondait la civilisation européenne résiste mal aux charges du néo libéralisme qui encourage la pulsion d'achat, le tout tout de suite, le zapping, sans que l'accès soit soumis à la
moindre résistance à vaincre, les exemples venant de haut. L'autorité est en crise parce qu'elle n'est plus soutenue par une promesse sociale partagée.
Or, l'école n'a pas d'autre moyen que l'autorité, que nous distinguons de l'autoritarisme,
pour élever les jeunes humains en formation. Les enseignants sont là au nom d'une collectivité qui ne reconnaît pas le rôle qu'ils exercent. L'école, d'institution devient service de plus en plus privatisé. Dans la situation inédite qui nous impose de dépasser le clivage entre ceux qui chargent l'école de transmettre une somme de savoirs techniques garantissant à terme, « l'employabilité du sujet », et ceux pour qui l'école a une vocation culturelle qui dépasse la somme des compétences techniques qu'elle permet d'acquérir, que peut signifier dépasser ?
Dépasser : apprendre à penser !
A l'ère planétaire, notre implication peut et doit se manifester pour, selon Edgar Morin dans
une triple réforme simultanée :
– réforme du mode de connaissances
– réforme de la pensée
– réforme de l'enseignement.
- par une critique en actes des transformations silencieuses auxquelles est soumise l'école.
- Par une refonte transdisciplinaire des programmes, des méthodes prenant appui sur une
transformation sociale effective, qui, non seulement financerait le fonctionnement de l'école
publique, laïque et obligatoire de 2 à 18 ans, aussi bien en postes de professionnels qualifiés,
mais leur assignerait l'objectif de former des sujets pensants et stratèges.
S'il n'y a pas de chemin tout tracé, la méthode : expérience-méthode-essai, nous semble la bonne
stratégie pour la connaissance et l'action sur un chemin qui s'invente.
De même que la pensée de Gaston Bachelard :
« Toute découverte véritable détermine une nouvelle méthode et doit, par conséquent ruiner la méthode antérieure » ne peut que nous inviter à inventer sans nostalgie, l'école d'autres temps à ce jour inconnus.



A Carcassonne le 30 Septembre 2011,
Caro Claude
La prochaine cession de l'Université populaire de l'Ouest Audois aura lieu le Mardi 18 Octobre,
avec pour thème général : « La transition » dont nous verrons quelques déclinaisons possibles

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