dimanche 3 avril 2011

Penser le possible

Texte d'introduction à la deuxième séance

de l'université populaire de Carcassonne

Claude CARO


I PENSER LE POSSIBLE, LE VIRTUEL, LE « EN PUISSANCE », LE TRANSITOIRE,REALISER LES POTENTIALITES, à l’heure de la mondialisation impulsée par le capitalisme ainsi que de ce que les sciences contemporaines nous apprennent de nous et de notre monde.

« Il nous faut arriver à dissoudre cet énorme bloc du déterminisme métaphysique qui pèse sur la pensée scientifique » nous dit G Bachelard.

« Les hommes font l’histoire », « Les hommes font tout autant les circonstances que les circonstances font les hommes », nous dit Marx.

« Un autre monde est possible », clament les altermondialistes.

Certes, cette histoire, les hommes la font dans des conditions liées à la nécessité comme l’avaient compris Spinoza ou Hegel, mais, penser le possible, le virtuel, le « en puissance », le potentiel, le latent, les possibilités réelles, naturelles, historiques, générales, théoriques, formelles, abstraites, devenues, posées, abolies, c’est penser le possible en fonction d’une double référence :

- au réel, « qui n’est jamais ce qu’on pourrait croire, mais toujours ce qu’on aurait dû penser » G B

- à l’irréel, (à l’imaginaire, à l’utopie ? qui, à mon sens ont un statut particulier puisque, par certains côtés ils peuvent devenir porteurs moteurs d’un idéal constructif). Le possible n’est pas un réel. (Il lui manque quelque chose pour avoir la plénitude ontologique que présente la réalité). Il n’est pas non plus un irréel au sens du pur non être ou de l’impossible car son accession à l’être n’est pas exclue comme pour les êtres imaginaires.

Le possible a donc le statut intermédiaire d’une « médiété » entre l’être et le non être, d’un moment dans une transition, suspendu entre l’être et le non être, à équidistance de l’un et de l’autre. Aristote distingue deux aspects du possible :

- « l’être en puissance » qu’il oppose à « l’être en acte » qui réalise la plénitude de l’être

- « l’être contingent », indéterminé, qu’il oppose à l’être nécessaire.

Pour moi, si le possible a à voir avec la volonté, la volonté ne peut effectuer à soi seule, la ou les possibilités. La détermination des individus singuliers dans des situations concrètes et des rapports sociaux historiquement fondés, rend possible le dépassement de ces situations, pour peu qu’existe une claire compréhension des marges de manœuvre présentes dans les situations données, en tout cas dans les domaines qui relèvent essentiellement des actions humaines.

Pour Hegel, la possibilité indique quelque chose qui doit se réaliser et la « dynamis » d’Aristote est aussi « potentia », force et puissance. Mais, Hegel comme Marx, opposent cette possibilité réelle à la possibilité formelle. Pour Marx, le possible est un réel dont sort la réalité future, contenue « en germe » dans celui-ci. C’est cette possibilité réelle qui peut se dire « être en puissance ».

Par exemple : « la possibilité du travail » et « sa réalité effective ».

L’état de choses actuel : l’opposition entre le travail et la richesse.

Est-ce que le développement de la richesse (valeurs d’usage, biens de tous ordres), n’ouvre pas une possibilité de dépasser cette contradiction entre travail des uns et oisiveté des autres ? Cette possibilité historique qui se développe dans le temps, Hegel la nomme « devenue » ou « posée ».

Une possibilité abstraite de crise (ce qui est le cas permanent dans nos sociétés capitalistes) n’engendre pas une crise réelle, au sens où elle en serait la cause ! Le possible est donc à distinguer du probable, comme l’impossible est à distinguer de l’improbable.

Je m’attacherai à montrer que, penser le possible :

- c’est penser la liberté, la fin qu’elle réalise : le libre épanouissement, l’invention, la création, l’explosion des possibilités.

- C’est penser dans le même temps ce qui entrave la liberté humaine : les différentes aliénations étant le résultat de la propre activité, c’est dans la modification des conditions de cette activité que peut passer la possibilité concrète d’une libération universelle. Ce sont les « humains » qui, par leurs activités et leurs fins, créent indirectement les puissances qui les dominent comme si elles leurs étaient étrangères.

- C’est penser la subsomption formelle du travail au capital c'est-à-dire la production de sur travail.

- C’est penser la subsomption réelle, c'est-à-dire l’appropriation privée du sur travail et de la force productive du travail social par le Capital.

- C’est penser à partir du résultat historique du développement capitaliste, à savoir la soumission au capital, de plus en plus générale, des travailleurs manuels comme intellectuels, capital dont l’unique mobile est la recherche du taux de profit maximum, ce qui aliène économiquement de plus en plus les individus sociaux. Cette nécessité inhérente au système, se subordonne directement la substance de la vie des humains qu’ils soient salariés ou entrepreneurs. Toutes les autres formes d’aliénation dérivent de celle-là : la soumission à la loi du profit, à l’argent, au prêt à intérêt et au crédit. D’où la nécessité de distinguer ces deux formes de subordination sources de deux formes d’aliénation qui sont deux obstacles différents l’un de l’autre que le capital oppose à la libération réelle des individus producteurs :

- d’une part l’allongement de la durée du travail, (ce qui explique l’entêtement de N S)

- d’autre part l’intensification de l’exploitation du travail (productivité, cadences, nouvelles formes de division du travail), qui devrait rendre possible la diminution de cette durée. Au plan scientifique, penser le possible, c’est penser la complexité née du non équilibre, de la non linéarité qui rendent la matière « plus inventive ». Dans « La fin des certitudes », Ilya prigogine, observant que les humains sont eux-mêmes des systèmes transitoires, avait intériorisé le fait que les lois de la nature affirment à la fois l’être et le devenir. C’est, pense-t-il le rôle de la flèche du temps que d’assurer ce passage de l’être au devenir : seul un temps irréversible permet la créativité de la nature et engendre de nouveaux états de la matière. De cette réflexion théorique, Prigogine en est venu à une philosophie de la science formulée en termes probabilistes, à un monde fluctuant, bruyant, né de l’existence de particules instables, d’un univers évolutif en expansion et de structures dissipatives qui vont des ondes chimiques aux cellules cardiaques. « Loin de l’équilibre, on observe une très grande variété de situations et une succession de bifurcations qui donnent à la matière un aspect historique. La vision que l’on a aujourd’hui de la nature est celle d’une histoire, d’un roman. La nature comporte désormais une dimension narrative alors que la vision scientifique classique de cette même nature se fondait sur une certitude, un déterminisme. Il faut qu’il y ait des nouveautés, et un univers non déterministe permet la nouveauté. Et ces nouveautés, dans la théorie simplifiée que les scientifiques en ont, apparaissent aux bifurcations : ce sont des points singuliers où une branche se subdivise en plusieurs branches ou même en un nombre infini de branches. Et le choix de la branche qui sera suivi dépend de fluctuations ». Concernant la nature de certains systèmes instables, Prigogine explique qu’au niveau microscopique, on observe un mélange de déterminisme et de probabilités : au point de bifurcation, c'est-à-dire au moment où le système dynamique se comporte comme un tout, la prédiction du comportement global aurait un caractère probabiliste tandis qu’entre les points de bifurcation, quand le système est dans un état donné, le comportement serait régi par des lois déterministes. Ce régime mixte de déterminisme et de probabilités serait nécessaire pour élucider le comportement des systèmes complexes. Il aurait à voir avec « le mode de rationalité élargie ». Ce qui signifie que nous devons considérer l’incertain comme faisant partie de notre rationalité. Aujourd’hui, c’est le devenir et non pas l’être qui est essentiel du point de vue ontologique. Penser le possible, n’est ce pas aussi tirer toutes les conséquences des concepts scientifiques produits d’une manière transdisciplinaire, tout particulièrement ceux des systèmes complexes constitués par des systèmes dynamiques non linéaires, SDNL.

En effet cette théorie a pour objet de décrire les changements spatio-temporels dans l’état des systèmes, en fonction des causes de ces changements.

Pourquoi non linéaires ?

Parce qu’il n’existe pas de proportionnalité entre les causes des phénomènes et les effets qui les sous tendent et, en même temps de non additivité des causes sur ces effets. Dès que les interactions non linéaires existent dans un système dynamique, son comportement acquiert des propriétés nouvelles, parfois étranges, souvent non prédictibles et généralement contre intuitives et dérangeantes pour un entendement habitué à la linéarité. D’où l’impérieuse nécessité de penser ces situations nouvelles qui posent des problèmes logico-philosophiques nouveaux. Par situations nouvelles j’entends celles nées des découvertes scientifiques portant sur les théories du chaos, de la complexité, des SDNE, de la systémique, de la théorie des niveaux, des structures dissipatives, de l’émergence, de l’auto-organisation, des bifurcations, des fractales, des catastrophes.

Alors, de quelle culture logico-philosophique cette pensée du non linéaire, du possible, a-t-elle besoin ?

Lucien Sève, philosophe, nous livre ses éléments de réponses dans : « Emergence, complexité et dialectique » aux éditions Odile Jacob. Compte tenu de l’ampleur des ondes propagées par le caillou « du possible » sur la surface lisse du déterminisme philosophique, je vous proposerai que nous consacrions une séance entière à cette question.

Pour l’heure, voyons ce que nous dit L Sève, des pages 188 à 210, parce qu’elles concernent l’objet de notre réflexion actuelle :

- 1) déterminisme et singularité,

- 2) vers une science directement intégratrice,

- 3) l’intenable dichotomie de l’universel et du singulier,

- 4) questions ouvertes.

A propos de déterminisme et singularité : « or, du big-bang tel que nous le présente la théorie standard il ne suffit pas de dire qu’elle inaugure un développement historique de l’univers : il joue un rôle en tant qu’évènement singulier. Et cette irruption du singulier en un contexte scientifique aussi fondamental pousse à son comble une véritable révolution dans l’ordre de la connaissance rationnelle. Si les lois de la science classique peuvent se prévaloir dans leur champ de pertinence d’une validité universelle, toute application concrète d’une loi nécessite la définition de conditions initiales propres à chaque cas et, par là, parfaitement singulières. Voilà qui illustre bien l’inséparabilité réelle de l’universel et du singulier, assertion clef de la dialectique. Cette mention des conditions initiales évoque la problématique des processus non linéaires : ceux-ci, a la fois déterministes et imprédictibles ont à voir avec la dialectique de l’universel et du singulier ».

A propos d’une science dialectiquement intégrative : « La non linéarité, si elle appelle la culture dialectique pour l’interprétation logico-philosophique, nous impose, en retour d’interroger sur le fond ce paradoxe de la science du singulier, autrement dit du rapport entre la répétitivité et l’historicité dans l’appréhension scientifique du réel ».

A propos de l’intenable dichotomie de l’universel et du singulier : « L’explication de l’évènement singulier dans le registre de la contingence n’a rien à voir avec l’invocation du hasard, compris comme absence de causalité intelligible ». « Les sciences du non répétitif peuvent fonder leur savoir général sur du répétitif ». « Le fait de l’évolution est aussi solide que n’importe quel fait établi par la science ». « La notion de science doit être modifiée pour rendre compte de la vie ».

A propos des questions ouvertes :

ne faut-il pas, pour penser le possible, penser la science comme discipline de recherche dialectiquement intégrative, sachant conjoindre de manière appropriée, en chaque cas, légalité déterministe et causalité singulière aussi bien que démarche réductionniste et approche synthétique ?

Ne faut-il pas penser ensemble réductionnisme et émergence, déterminisme et imprédictibilité, universalité et singularité ?

Ne faut-il pas passer d’une vision hiérarchique à une vision solidaire des niveaux d’organisation du réel ? Car, aujourd’hui, à l’heure où la production industrielle ou la commercialisation de services rentables en quête de bons retours sur investissement, réclament la connaissance des réalité invariantes et des processus répétitifs, ne devons-nous pas nous interroger sur les logiques économiques ultrapuissantes qui tendent à modeler le champ des sciences dans le sens d’une discrimination drastique entre maîtrise profitable de l’universel et explication sans profit du singulier ?


II Penser le possible, c’est penser que le possible, le virtuel sont plus riches que le réel qui ne réalise qu’une partie du potentiel. L’approche scientifique qui découle de cette vision permet d’apporter une pluralité de solutions à un problème complexe.

C’est penser que la probabilité n’est pas une perte mais au contraire un gain.

C’est penser, avec Michel Serres que « le processus d’hominescence qui vient d’avoir lieu de notre propre fait, ne sait pas encore quel homme il va produire, magnifier ou assassiner », « que l’humain ne fait pas référence, que nous le construisons dans le temps par nos actes et nos pensées, collectifs ou individuels », et « que quittant son vieux statut de métaphore, l’auto humanisation entre en pratique ». « Cet évènement est porteur d’espoirs mêlés d’inquiétudes ». « Ces émergences portent craintes et tremblements. Cet évènement creuse un écart entre riches d’argent, de corps, de nourritures, d’espérances de vie, d’habitat, de démocratie libre et de science…et ceux privés de tous ces biens jusqu’à la souffrance permanente ». « Si tout projet substitue un but au hasard, si nous n’existons ni comme étants, ni comme êtres, mais comme des modes, nous habitons des demeures culturelles et naturelles, dans le carré des modalités où possible, impossible, nécessaire et contingent montent les quatre murs ». « Nous sommes passés du local au global sans aucune maîtrise conceptuelle ni pratique de ce dernier. Ce moment d’hominescence nous oblige à résoudre ce problème global. Même notre corps vit désormais sur le mode du possible : il est devenu un virtuel incarné. Les connaissances, issues des sciences contribuent à nous défaire de nombre de contraintes pesant sur nos corps. Ainsi s’ensuivent des mentalités neuves, une économie adaptée, des conduites socialesNotre corps est devenu instrument majeur d’acquisition de connaissances : il filtre la clarté, stocke mille logiciels de positions, de mouvements, d’intentions, de mimes et d’adaptations, de chiffrages et de décisions. Notre corps reçoit et comprend, oubli et retient, transmet et sait. Actif, il tranche. Inattendu, il invente. Tout ne passe pas par le cerveau : les sciences cognitives s’incarnent ». «Cela exige de nous un entraînement, de l’exercice, un emploi du temps soutenu. Notre responsabilité est engagée : les sciences et les techniques viennent de prendre l’humanisme au mot : voulez-vous faire l’homme ? »

Faire et savoir faire mettent la philosophie face à ses responsabilités : tout projet substitue un but au hasard.

Or, aujourd’hui, la globalisation transforme les objets dans le processus où action et connaissances croissent vers l’universel : le statut objectif du sujet collectif varie puisque, anciennement actif, il devient objet global passif subissant des contraintes en retour de ses propres actions comme le démontre Isabelle Stengers dans « La sorcellerie capitaliste ».

Le statut de l’objet-monde varie puisque, anciennement passif, le voici, à son tour, actif en retour. Nous devons penser ce nouvel objet qui dépasse de loin le statut des objets locaux puisqu’à certains égards nous devenons des objets de cela dont nous ne savons même pas s’il est vraiment un objet. Car, si nous traitons le monde comme un objet, nous nous condamnons à devenir à notre tour objets de cet objet.

Pour penser cette nouvelle situation, nous devons revenir au geste juridique d’origine : Cet objet nouveau émerge à la pensée par un nouveau contrat qui établit à la fois cet objet global nouveau (le monde) et le nouveau groupe global qui le pense (l’humanité), qui agit sur lui, dont les débats font apparaître, dont les actions le font réagir et dont les réactions conditionnent en retour la survie même du collectif qui le pense et agit sur lui.

Penser le possible, le virtuel, le « en puissance », dans les conditions actuelles, données, de la mondialisation impulsée par le modèle de développement capitaliste considérées comme des présuppositions, revient à considérer des humains et des situations concrètes. Il s’agit d’individus singuliers ayant des statuts sociaux singuliers, placés dans des conditions et ayant des moyens particuliers. L’action et les conditions sont toujours présentes. Cette nécessité contient la possibilité de son propre dépassement parce qu’il est impossible de dissocier les conditions matérielles (à la fois naturelles et sociales) de l’activité humaine et de la nature changeante de cette activité elle-même. Pas de déterminisme donc, mais nécessité pour penser le possible à faire advenir de tenir les deux bouts de la chaîne si l’on veut « changer le monde » :

- interpréter le monde

- unir ceux qui le produisent autour d’une perspective de dépassement des contraintes qui prenne sérieusement en compte celles-ci. « La technologie met à nu le mode d’action de l’homme vis-à-vis de la nature, le processus de production immédiat de sa vie matérielle, et, par conséquent, l’origine des rapports sociaux et des idées et conceptions intellectuelles qui en découlent. L’histoire et les religions elles-mêmes, si l’on fait abstraction de cette base elle-même manque de critérium ». C’est de la terre au ciel qu’il nous faut monter pour accéder au possible. Pas de déterminisme, pas plus de déterminisme philosophique que de déterminisme religieux ou populaire, mais bien mieux un causalisme enchevêtré, faisant appel à des causes efficientes, des conditions données dans l’expérience, prenant la forme de théorie des facteurs, y compris les facteurs que l’humain introduit en poursuivant ses propres fins.

« Grave est la nuit, Mais l’homme a disposé des signes fraternels… La lumière vint malgré les poignards », chante Pablo Neruda.

« La connaissance du réel est une lumière qui projette toujours quelque part d’ombre », « elle n’est jamais immédiate et pleine », « les révélations du réel sont toujours récurrentes », « le réel n’est jamais ce qu’on aurait pu croire, mais il est toujours ce qu’on aurait dû penser », précise Gaston Bachelard.

Penser le possible c’est chercher des traces de futurs, pas prévoir un quelconque futur prédéterminé, c’est œuvrer en marchant au cheminement qui conduit le chemin. Telle pourrait devenir une pensée de la transition plus efficiente pour des exercices citoyens en actes que nous devrions accomplir.

A Carcassonne le premier octobre. Caro Claude


III REALISER LES POTENTIALITES

« Les potentialités résident dans la joie des relations créatrices ». Peter Sloterdijk. « Il ne faut pas craindre de se donner l’impossible pour principe d’action ».

« Frontière et transgression se supposent mutuellement. Transgresser, c’est littéralement, passer de l’autre côté. Chacun d’entre nous, peut devenir un transgresseur ne serait-ce que parce qu’il rejette le rôle qui pourrait lui être imposé, et va à l’encontre des croyances établies, des critiques et des railleries. Cependant, l’autre côté n’est pas forcément comme on l’imaginait. Il va falloir le découvrir, le comprendre, l’apprivoiser. Il y faudra du courage et de l’intelligence », dit-on dans la revue Transitions.

Libérer une potentialité, c’est inviter l’inattendu à surgir et il faut savoir l’accueillir, ou mieux, apprendre à saisir le possible. Ce véritable acte de foi devrait nous animer à la façon dont A Jacquard nous dit, s’adressant aux enfants : « Tu es une merveille à construire ».

Mais comment comprendre cet « acte de foi » qui ouvre des perspectives là où il n’y en avait pas, libère des talents, à la lettre inconcevables, mobilise des énergies que nous ne voyions pas ? Si je veux que la foi de l’autre en moi m’ouvre des fenêtres – des fait naître – dirait Lacan, encore faut-il que j’aie foi en lui. La puissance de l’acte de foi, c’est de modifier le champ des possibles et des impossibles. Il crée un espace nouveau, plus large, où l’inattendu peut s’inviter. Il peut donner confiance.

Mais qu’est ce qui voile les potentialités ?

Le message de la crise peut nous aider :

Nous sommes devant une crise du système : on peut en évoquer les aspects économiques, financiers, politiques, écologiques ou sociaux, mais cette crise désigne l’ensemble des choses auxquelles nous croyons, l’ensemble de nos représentations du monde, de nous-mêmes et des autres. C’est notre système de vérité, ce qui faisait tenir ensemble nos différences, voire nos divergences. C’est ce système que nous devons accepter de réviser sous la contrainte d’une crise morale et psychologique de grande ampleur. Dans notre monde où tout se tient, nous n’avons pas encore été au bout de tous les effets de la crise globale qui affecte tous les aspects de notre vie.

Le désir de tous les peuples ou presque de vivre comme nous le montrons : (nous avons érigé en modèle une façon de vivre qui est devenu le repère et l’aspiration de milliards d’êtres humains), mais qui, généralisé à l’échelle de la planète n’est pas viable.

Or, le désir, c’est la distance et la suppression de cette distance ; nous avons entrepris de supprimer tous les écarts, et la machine à uniformiser progresse avec une violence impressionnante. Cet emballement de la machine à produire et à consommer trouve son moteur dans un système économique et financier qui a besoin de ces productions et consommations pour survivre à ses propres crises. A tel point que, dans un monde fini dans l’espace et dans le temps, dans un monde qui, sous l’effet de notre propre activité fait que les conditions de la vie de l’homme sur terre seront irrémédiablement gâchées.

Ce mur des nouvelles raretés nous révèle un deuxième élément de la crise : nous avons construit et généralisé un système qui ne vit que dans un monde de croissance infinie. Peu nombreux ont été et sont ceux qui se préoccupent de la justice. Trop nombreux sont ceux qui ne veulent pas voir cette injustice fondamentale et, par conséquent, consciemment ou pas, refusent l’élémentaire besoin de fraternité.

Majoritairement, nous avons abandonné notre intelligence au marché. Cette idéologie du tout marché s’est imposée à tous les domaines : biens matériels, santé, éducation, culture. Le marché s’occupe et occupe tout. Les dirigeants ne dirigent plus, les politiques se renoncent à eux-mêmes : il n’existerait plus de projet politique apte à échapper au marché. Alors, plus de frontières mais du libre échange étendu à tous les domaines, y compris les humains.

Avec la réduction de toutes les formes de diversité l’uniformatisation de la vie gagne tout les domaines de la vie et donc menace celle-ci.

Ce constat, nous pouvons le nuancer en étirant notre conscience du processus de mondialisation : nous assistons à un renversement du monde, dans un monde fini dans l’espace et le temps. De nouvelles guerres pour la ressource, l’espace, la terre, l’eau, l’énergie, les minerais, sont devant nous.

Conscients de tout cela, quels scénarios peut-on imaginer qui rendraient possible la refondation de liens communautaires et de collectivités humaines ?

La crise révèle que le marché ne permet pas aux sociétés humaines de fonctionner et que celles-ci doivent reconquérir leur autonomie par rapport à cette idéologie. Le rêve individualiste pose problème. La confusion entretenue entre l’individu et l’individualité débouche sous nos yeux sur une compétition de chacun contre tous, l’abandon du faible, le renforcement du fort. Nous devons nous défier de la passion de l’intérêt personnel.

Penser le possible s’inscrit dans la refondation du collectif ainsi que dans le réinvestissement de la diversité des sociétés humaines, celle des solutions, des modes de vie, des logiques, des formes économiques, des formes d’organisation. Les potentialités trouvent leur véritable puissance d’expression dès lors qu’elles peuvent accéder à la dimension systémique ? Ce sont les potentialités des parties qui, en se stimulant les unes les autres, se réalisent et donnent toute sa « force » au système tout entier. En ce sens le passage aux actes des personnes et des organisations peut rendre possible une re-évolution humaine. C’est à cet examen de conscience que je vous demande de vous livrer afin d’impossibiliser les dérives nées dans le système dont nous faisons partie pour nous ouvrir à des possibles que nous nous aurons découverts en nous et en société.

Revu Mercredi 13 Octobre, à Carcassonne.


Sachant que nous sommes tous préoccupés par la crise de la situation mondiale, nous pourrions consacrer les deux prochaines séances à :

- la mondialisation impulsée par le capitalisme contre la mondialisation humaine,

- la catastrophe à laquelle nous devons résister.

Aucun commentaire: